Chapitre 1
Rohan bâilla. Il était couché sur le sol d'une tanière, entouré de ses parents et de sa sœur. Il remua la queue, regardant autour de lui avec des yeux fatigués.
Son père et sa mère faisaient partie du clan de Saphir, un clan de dragons bleus. Lui et sa sœur en faisaient également partie, évidemment.
Son pere Elrix était de couleur bleu foncé, avec quelques écailles plus ternes encore sous ses yeux. Cela donnait à son père un regard profond au travers de son iris bleu ciel, semblable à celui des léopards des neiges. Quant à sa mère, Lyana, son teint était plus clair et tirait légèrement sur le vert, donnant à ses écailles une brillance turquoise. Elle était jolie à voir.
Sa sœur Melia ressemblait à sa mère, avec un bleu clair, doux, généreux. Quant à lui-même, Rohan avait la même couleur que son père, quoique plus foncé encore, ce qui le rendait pratiquement noir. Un noir quelque peu agressif du fait des trois rayures rouges qui traversaient sa croupe, et qu'il tenait d'on ne savait où, ni de qui. Aucun de ses ancêtres n'arborait de rayures aussi provocatrices sur leur flanc.
Lyana s'était un peu inquiétée en voyant ces marques pour la première fois sur le corps de son fils. Elle avait cru en un présage ; le soir de la naissance de Rohan un horrible orage avait éclaté et avait tué la propre sœur de Lyana. Elle n'avait pu que la pleurer.
Rohan ne savait pas qu'il était maudit. Il avait maintes fois posé des questions sur ses marques rouges à ses parents, mes ceux-ci l' ignoraient, ou répondaient mal. Il devina simplement qu'ils ne voulaient pas en parler.
A présent, Lyana chuchotait à son mâle en observant son fils du coin de l'œil. Elle s'inquiétait pour elle, pour lui, pour tous. La malédiction de Rohan s'était plusieurs fois montrée et avait exécuté plusieurs membres de sa famille (quatre, plus exactement), mais pas seulement : elle avait aussi déclenché une série de catastrophes dites naturelles, qui touchent essentiellement les humains et les animaux des parages.
«C'est incroyable qu'il ne se soit pas encore tué lui-même avec cette chose sur le dos, murmura Elrix.
- Seul le porteur de la malédiction est protégé par celle-ci, répondit la femelle ; son entourage meurt.
- Quand sera-ce notre tour ? soupira le père. Nous avons donné naissance à un meurtrier...
- Un maudit, rectifia Lyana. Il ne tue pas par plaisir.»
Les deux parents regardaient Rohan, qui dormait.
Lyana s'en approcha. Les rayures rouges restaient ternes, c'était bon signe. Elle avait remarqué que ces marques brillaient étrangement lorsqu'une catastrophe se préparait, ou du moins elles prenaient une teinte plus claire. La dernière fois, une sécheresse s'était abattue sur les champs cultivés par les hommes, grands nombres de ceux-ci et de leur bétail moururent les uns après les autres.
Les hommes n'étaient pas de mauvaises créatures en général, même s'ils chassaient parfois les dragons d'un territoire pour s'y installer. Ils avaient des préférences pour certains clans de dragons avec lesquels ils étaient généreux et sympathiques, comme celui d'Emeraude, mais ils méprisaient les membres d'autres clans, tels ceux de Rubis, qui vivaient près des volcans.
Les Dragons de Saphir n'avait pas vraiment d'avis sur les humains. Ces derniers n'étaient pas des nuisances mais pas des bénédictions non plus. En tout cas, leur bétail était délicieux.
Le territoire du clan de Saphir s'établissait entre deux fleuves, le Cerf de Cristal et le Lièvre de Feu. Leurs terres en elles-mêmes étaient parcourues de plusieurs cours d'eau plus ou moins torrentueux, alimentant une forêt dense. Quant à la mer, sa bordure se situait un peu plus au sud, et la plage était accessible aux membres du clans - s'ils descendaient la falaise d'abord. Chaque famille avait une tanière pour élever ses petits, et celle d'Elrix était non loin du bord du Lièvre de Feu. On pouvait entendre l'écoulement de l'eau de l'intérieur de la tanière.
Le grand dragon bleu se coucha sur le sol de terre. Il jeta un coup d'œil à l'extérieur, contemplant le coucher de soleil sur la surface du fleuve. C'était la couleur rouge du ciel qui se reflétait dans l'eau du fleuve et qui lui donnait son nom. Rouge... Comme les rayures. Il ne pouvait plus se passer d'y songer.
Lyana se coucha à son tour aux côtés du mâle, se collant à lui pour se réconforter. Elle observa la respiration calme et régulière de ses deux petits assoupis et s'endormit lentement.